Il aura fallu une circonstance de la vie, en l’occurrence une chute, pour que naisse le Parcours Sainte Marie. Alors que l’artiste se retrouve clouée sur un lit d’hôpital – l’hôpital Sainte-Marie – c’est une forme d’évasion que Vera Molnar convoque en réactivant son plaisir de faire extravaguer une ligne continue, retour au random walk des pionniers de l’art informatique qui ne savaient pas encore donner l’ordre algorithmique de lever le stylotraceur... D’abord dessinées sur des petits bouts de papiers, les menus de ses repas hospitaliers, ces lignes prennent, avec l’assistance de l’ordinateur, sur toile, une ampleur dépassant 5 mètres de long.
(Parcours Sainte-Marie, 2018)
92 Rue Bonaparte 75006 Paris
À quelques semaines de son 99e anniversaire, l’Institut Liszt de Paris offre la possibilité à Vera Molnar de déployer dans ses espaces quelques-unes de ses créations récentes qui illustrent un incessant va-et-vient, un courant alternatif qui habite son œuvre depuis des décennies. Ainsi, l’artiste reprend, récupère et réinterroge inlassablement formes et motifs et, pour ce faire, recycle, réinvente, renouvelle par de multiples décalages et variations le champ des possibles visuels, générant surprises et renaissances. Une imbrication cyclique, puissant leitmotiv du process molnarien, est à l’œuvre dans chacune des pièces présentées ici, à différents titres et de diverses manières.
Réactiver
Revisiter
C’est l’histoire d’une rencontre fortuite en Fortran entre une montagne si chère au cœur et à la peinture de Cézanne, la Sainte-Victoire, et une courbe mathématique, celle de Gauss, familière de l’artiste. L’une naturellement irrégulière et désordonnée, l’autre sagement symétrique en x et y. Une confrontation qui ouvre une voie à l’artiste pour revisiter le profil de cette courbe métamorphosée en montagne, ou de cette montagne transcrite en courbe. D’où un jeu de variations infinies sur la Sainte-Victoire, mêlant dessins à la main et/ou à l’ordinateur, inépuisable processus créatif dont sourdent La Sainte-Victoire On-Line et Border-Line, derniers avatars, qui font émerger le profil de la montagne à partir de segments horizontaux et verticaux.
(Sainte-Victoire On-Line, 2018)
Recuisiner
Le hasard a toujours occupé une place primordiale dans l’art de Vera Molnar la conduisant à le réinvestir continuellement pour générer de nouveaux agencements de formes et expérimenter de multiples protocoles. Sa dernière série d’œuvres, Hommage à Kepes, ne viendra pas le contredire. C’est en effet au détour d’une présentation récente consacrée au cyanotype que la figure de György Kepes (1906-2001) lui est revenue soudainement en mémoire. Considéré comme l’un des premiers à avoir exploré les possibilités du photogramme, ce peintre, photographe, designer et enseignant reste pour Vera Molnar une des figures clés de l’art du xxe siècle. L’« hommage à Kepes » se transforme ici en moyen jubilatoire de recuisiner, avec des pâtes alimentaires, certaines de ses anciennes productions d’où surgissent des hommages aux maîtres admirés et perpétuellement convoqués en colloques mémoriels : Mondrian, Malevitch, Klee.
(Hommage à Kepes, 2022)
Remanier
C’est le souvenir d’une visite à Weimar (Allemagne) dans le jardin de la maison d’été de Goethe qui ouvre à Vera Molnar la voie de sa première sculpture en marbre. Sous la forme d’un cube surmonté d’une sphère posée en équilibre se présente, installée dans ce jardin depuis la fin du XVIIIe siècle, la déesse Agathée Tyché, divinité de la destinée, de la prospérité et de la fortune. Une forme que l’artiste considère comme l’un des premiers gestes visibles de la modernité. Une forme dont elle s’empare en la remaniant résolument, rompant l’équilibre et tronquant les contours. Cet hommage à Goethe, devenu Goethe autrement, est ici prétexte à un nouveau jeu de formes librement assemblées.
Réjouir
Transformation coupée en diagonales 2021 recycle joyeusement l’œuvre Transformation de 1975, en un carré coupé par ses 2 diagonales et formant 4 triangles rectangles distincts. La position et le sens d’accrochage des 4 toiles sont activées selon la règle suivante: chaque triangle doit toujours avoir au moins un côté de même longueur en commun avec un autre triangle. Cette règle permet d’obtenir 1264 tableaux possibles différents. De quoi offrir au spectateur/collectionneur un ticket participatif qui réactive la démarche du GRAV (Groupe de Recherche d’Art Visuel, 1960-1968, dont Vera Molnar fut fondatrice avec son mari François) et ouvre des perspectives collaboratives, car si c’est le regardeur qui fait le tableau, il peut-être en être aussi son manipulateur. Avec Lumières sous les portes, l’artiste s’amuse des jeux de lumière qui passent la nuit sous une porte fermée. Autant de figures géométriques qui évoquent sa « Vénus de Willendorf ».
(Lumières sous les portes, 2022)
Redécouvrir
Vera Molnar n’a jamais refusé, bien au contraire, l’aventure d’un nouveau medium y voyant la possibilité d’aller vers de nouvelles surprises, un désordre inattendu, la promesse renouvelée d’un accostage étonnant aux rivages du royaume de Sérendipité – ou encore, pourquoi pas, un voyage en tapis. C’est dans cet esprit que l’artiste s’est lancée en 2019 dans la réalisation de nouvelles tapisseries en laine tissée. À partir d’une série de dessins spécifiquement imaginés à cette occasion, l’artiste s’est laissée surprendre par la vibration inédite des jeux de matières et du tissage de la laine venant troubler imperceptiblement les constructions formelles de ses lignes, de ses 30 lignes brisées.
(30 lignes brisées, 2020)
Entrée libre
Informations : reservation@instituthongrois.fr | 01 43 26 06 44