Un café avec Attila Bartos

C’est dans le quartier historique des galeries d’art et des maisons de ventes aux enchères de la rive droite, le fameux « triangle d’or », que je retrouve Attila Bartos. Un quartier symbolique pour ce dernier : après avoir grandi dans une famille de collectionneurs hongrois et exercé comme art advisor entre la France et la Hongrie, il est désormais chargé de ventes au sein de la galerie d’art frank elbaz.

Simon Hantaï, Tabula, Meun, 1975, Fondation Louis Vuitton

Simon Hantaï, Tabula, Meun, 1975, Fondation Louis Vuitton

Est-ce que tu peux nous raconter les origines de ta passion pour l’art, en particulier pour le fauvisme hongrois ?

Mon parcours est un peu atypique, je suis diplômé de l’Ecole de la communication de Sciences Po et j’ai débuté dans l’audiovisuel. Pourquoi l’art ensuite ? Tout simplement parce que je viens d’une famille de collectionneurs. Mon grand-père et ma grand-mère hongrois, tous deux originaires du petit village d’Ádánd (Somogy), ont commencé à collectionner dans les années 1960. Ils ne collectionnaient que des œuvres hongroises du XXe siècle, l’équivalent du fauvisme et le mouvement Nyolcak (les Huit). Si je ne devais choisir qu’un seul artiste de cette époque ça serait Béla Czóbel qui était un ami de mon grand-père. Mes grands-parents venaient de la campagne et ne comprenaient pas vraiment l’art abstrait. Ce qu’ils voulaient voir dans un tableau c’était du figuratif : une nature morte, un paysage ou un portrait.

Comment en es-tu arrivé à exercer en tant qu’art advisor ?

Je me suis senti à l’aise dans ce milieu car j’en connaissais les codes. En famille, on parlait du marché hongrois et des classiques comme Picasso ou Rothko. En revanche, sur le marché de l’art à Paris, je partais de zéro. Je fais d’ailleurs une petite dédicace à Arnaud Dubois, un art advisor à Paris, qui est tombé sur mon annonce de l’époque dans laquelle je vendais en amateur des prints de Vasarely. Il m’a encouragé à me lancer à mon compte en tant que conseiller en acquisition d’œuvres d’art. J’ai fait deux ans de formation autodidacte à travers des livres et sur le terrain en arpentant les galeries.
En tant qu’art advisor, j’avais adopté un angle de placement dans l’art et de constitution d’un patrimoine. Aujourd’hui à la galerie frank elbaz, ma mission est davantage de trouver la pièce qui matche avec le profil du collectionneur et lui proposer ce qui lui manque, qu’il s’agisse de pièces qui dialoguent entre elles ou d’une toute nouvelle pièce d’un de ses artistes préférés.

Quelle est ta vision des liens franco-hongrois dans l’art ?

Je suis très positif sur la question. Ces dix dernières années, il y a eu beaucoup de choses dans les deux sens, au niveau des expositions mais aussi des ventes et des achats. Par exemple, en 2013, le Musée d’Orsay a organisé l’exposition « Allegro Barbaro Béla Bartók et la modernité hongroise 1905–1920 », autour de chefs d’œuvres hongrois du fauvisme et on a d’ailleurs demandé une pièce à ma famille. Je pense que c’était le premier grand moment pour la Hongrie, surtout que les grands collectionneurs historiques de la Hongrie et les musées ont prêté des pièces. A la suite de l’exposition, les prix ont commencé à s’élever sur le marché, surtout des pièces très qualitatives des années 1910-1920. Le Musée d’Orsay a d’ailleurs acquis « Soldat français en marche » de Rippl-Rónai qu’un collectionneur hongrois a laissé partir de sa collection, pour contribuer au rayonnement de l’art hongrois à l’étranger.

Jozsef Rippl-Rónai, Soldats français en marche, 1914, source : Musée d’Orsay

Jozsef Rippl-Rónai, Soldats français en marche, 1914, source : Musée d’Orsay

L’autre événement phare c’était l’exposition « Wanted / Lost & Found. À la recherche du cubisme hongrois perdu », organisée à l’Institut hongrois à Paris (voir lien). Le cubisme était un mouvement quasi inexistant en Hongrie, hormis le couple de peintres Valéria Dénes/Sándor Galimberti et le sculpteur József Csaky qui faisaient du cubisme en 1910 à Paris. De nombreuses œuvres de cette période ont été perdues ou détruites car les artistes hongrois ont refusé d’adopter à 100% les tendances parisiennes. Un des plus grands chasseurs d’œuvres portées disparues est Gergely Barki. Pour l’anecdote, c’est en regardant Stuart Little à la télévision avec ses enfants qu’il a retrouvé « La Dame endormie au vase noir » de Róbert Berény, une œuvre majeure du XXe siècle, répertoriée partout mais qui avait disparu depuis 80 ans. Il a directement appelé le studio hollywoodien et il s’est avéré que c’était une assistante de décoration qui l’avait achetée au marché aux puces à Los Angeles. Ses trouvailles comptent aussi une sculpture de József Csaky retrouvée sur Ebay.

Selon toi, quels artistes hongrois ont-ils percé à l’international et quelles sont les raisons derrière leur succès ?

Simon Hantaï c’est le plus ancien, il est arrivé en 1948 à Paris et il a rencontré le galeriste Jean Fournier en 1952, avec lequel il s’est lié d’amitié. La galerie Gagosian a organisé une première exposition à Paris en 2022. Il est tellement ancré dans le système international que lorsqu’on dit Simon Hantaï, les gens ne l’associent pas spontanément à la Hongrie.
Le deuxième exemple représentatif est celui de Judit Reigl et Dóra Mauer. Judit Reigl est assez française, elle est arrivée en France avant 1956 et ses œuvres se vendaient aux alentours de 10.000-20.000 euros jusqu’à 2018, car par patriotisme la Hongrie avait racheté massivement ses œuvres. A l’inverse, Dora Maurer vit à Zugló et c’est seulement depuis quelques années que le marché s’intéresse à elle, notamment la galerie White Cube qui la représente. C’est une artiste très locale mais qui fait beaucoup de sens à l’international, elle a notamment eu une rétrospective au Tate Modern.
Un cas pur contemporary serait Bozó Szabolcs qui est un jeune artiste parti en Angleterre pour percer. La maison de vente aux enchères Phillips a récemment vendu une pièce à 70.000 pounds et la liste d’attente s’élève à 300/400 personnes. Enfin, il ne faut pas oublier Rita Ackermann représentée par la galerie Hauser & Wirth. Elle vit à New-York et les gens oublient qu’elle est d’origine hongroise, mais elle fait la une et c’est tout le marché international qui achète ses œuvres.

Sur la scène émergente hongroise, perçois-tu des évolutions dans la manière de créer des artistes ?

Il y a quelques artistes conceptuelles qui font des installations et des vidéos, mais en Hongrie on reste beaucoup dans l’héritage de la géométrie et de l’art concret minimaliste, dans la lignée de Vasarely, Bak Imre, Nádler István, Dóra Mauer…et même chez les jeunes ! Je n’en connais pas l’explication, mais je pense que c’est lié à l’éducation car les mathématiques et la physique sont très présents dans l’enseignement hongrois. Quand on y pense même le Rubik’s Cube qui est une invention hongroise c’est de la géométrie.

Par Laura Kéruzoré, Avocate au Barreau de Paris- diplômée en marché de l’art de Paris I Panthéon-Sorbonne